Le ministère de l'Immigration «se fout du monde»
Guy Carcassonne, professeur de droit, revient sur l'annulation de l'appel d'offres du ministère concernant l'aide aux étrangers dans les centres de rétention.
Recueilli par CATHERINE COROLLER
Guy Carcassonne est constitutionnaliste et professeur de droit public à Paris-X. Il analyse l’ordonnance rendue jeudi par le tribunal administratif de Paris. Infligeant un camouflet à Brice Hortefeux, les juges ont purement et simplement annulé un appel d’offres publié le 22 août par le ministère de l’Immigration. Ce texte visait à chasser la Cimade (service oecuménique d’entraide) des Centres de rétention administrative (CRA) où sont enfermés les migrants en situation irrégulière en instance d’expulsion. Jusque-là, cette association bénéficiait d’une forme de monopole puisqu’elle assistait, seule, ces retenus sur toute la France. A l’avenir, cette mission devait être explosée, la France étant divisé en huit lots et toute personne morale pouvant soumissionner. Objectif du ministère: faire taire une association – la Cimade – jugée trop critique envers sa politique. Interview.
Dans son ordonnance, le tribunal administratif reproche essentiellement à l’appel d’offres du ministère de n’être pas assez exigeant sur la compétence juridique des futurs intervenants puisque leur «valeur technique», selon ses propres termes, n’entre que pour 15% dans les choix d’attribution du marché. Est-ce exact ?
Le tribunal considère effectivement que, compte tenu de la nature de la tâche, on ne peut pas, dans les critères de jugement des offres, n’attribuer que 15% à la qualification juridique «en ne fixant, au surplus, aucun niveau quant au minimum de connaissances juridiques requis». Effectivement, c’est purement et simplement aberrant. A mes yeux, cette assistance juridique pour les étrangers en situation irrégulière est exactement équivalente à ce qu’est l’aide judiciaire pour les Français ou les étrangers en situation régulière. Là aussi, les avocats disposent d’un monopole que personne ne met en cause et qu’il serait assez saugrenu de contester. Et à supposer qu’on le mette en cause, personne ne pourrait juger acceptable que cette même mission soit confiée à des personnes ayant une moindre qualification juridique.
Pour les associations, le plus grave n’était pas là. Elles critiquaient surtout le fait que la France soit divisée en lots. Dans son communiqué publié le jour même du jugement, le ministère affirme d’ailleurs que l’appel d’offres a été annulé «pour un motif de pure forme, tenant aux modalités d’appréciation de la valeur technique des offres», qu’en pensez-vous?
Qu’il se fout du monde. C’est un vrai motif de fond. Ce jugement est parfaitement logique. Le tribunal n’a examiné qu’un seul des moyens [avancés par les avocats, ndlr] et a retenu celui qui emportait l’annulation de l’ensemble de l’appel d’offres.
Le ministère a réagi en disant qu’il allait « engager immédiatement un nouvel appel d’offres». Peut-il reprendre les dispositions du texte qui a été annulé par le tribunal mais qui ne sont pas visées dans l’ordonnance d'annulation?
Il devrait se méfier. L’ordonnance du tribunal dit, en clair «non seulement, on vous annule là-dessus, mais sur le reste, réfléchissez bien avant de vous lancer dans autre chose».