jeudi 12 février 2009 – Ouest-France - Commentaire par Michel Urvoy
Derrière la carte postale...
Les mots parlent parfois tout seuls. Que les leaders de la protestation antillaise parlent de la « France » comme d'un pays étranger, révèle un petit problème politique qui va bien au-delà du coût de la vie. La contagion quasi insurrectionnelle qui enfièvre les territoires outre-mer depuis trois semaines devrait être l'occasion de secouer le cocotier politique pour faire tomber quelques idées reçues, regarder les vraies causes de la crise et s'interroger sur les limites de la pratique du guichet ouvert.
Les idées reçues : les Antilles ne sauraient se réduire à cette carte postale sur laquelle cohabitent jolies filles, sable chaud et stars du foot. Au contraire, il faut espérer que la misère est moins pénible au soleil, tant le chômage et la pauvreté y battent des records. Il faut cesser de regarder cette révolte comme la grève de trop, sous prétexte qu'elle contrarierait nos vacances de privilégiés. Il faut arrêter de jauger le problème à la seule aune des milliards d'aides et d'exonérations que Paris consent à Pointe-à-Pitre, Fort-de-France, Papeete ou Saint-Denis de La Réunion, pour compenser le coût de l'éloignement et de l'insularité.
Les causes de la crise : l'outre-mer ne s'est jamais remis de son passé colonial. La départementalisation - inachevée - de 1946 lui impose un cadre républicain qui correspond mal à ses réalités. Périphéries lointaines et éparpillées de la France, impossibles à faire tenir sur une même carte, voici les Ultramarins devenus citoyens d'une Europe qui a encore moins de sens pour eux. Intéressés par le laxisme accommodant du pouvoir parisien, les voilà victimes à la fois de la mondialisation, de la crise internationale et des profiteurs locaux ou métropolitains, cibles d'un ostracisme montant.
Effets pervers
Exemples. Peut-on tolérer la constitution de stocks de pétrole pour spéculer sur les prix à la pompe ? Accepter que quelques familles békés concentrent toutes les richesses ? Fermer les yeux sur les monopoles aérien et maritime qui rendent les tarifs prohibitifs ? Ignorer que la domination de la grande distribution fait exploser les importations au détriment des productions locales ? Admettre que l'investissement soit presque toujours dirigé vers des secteurs sans valeur ajoutée durable ?
La politique du guichet : si donner était une garantie de développement, la Guadeloupe et la Martinique rouleraient sur l'or. La perfusion financière permanente, au contraire, entretient des prix élevés, dévalorise l'effort et encourage la fraude. L'accoutumance à la subvention rend même très risquée toute modification de la dose. Ainsi, en fermant brutalement le guichet, après avoir fait miroiter des hausses de salaires, le ministre pompier Yves Jégo, revenu hier en Guadeloupe après recadrage par François Fillon, s'expose à des jours difficiles pour maintenir l'ordre républicain et prévenir la contagion.
La facture resterait supportable si elle se limitait à l'outre-mer. Mais à une semaine de la conférence sociale convoquée par Nicolas Sarkozy, en apparence plus attentif à la convalescence irakienne qu'aux convulsions antillaises, le message d'une relance par la consommation plutôt que par l'investissement serait redoutable. En appliquant dans les îles - ce qu'il a d'ailleurs commencé de faire en promettant 190 millions - ce que l'opposition réclame en métropole, l'exécutif aggraverait son cas au moment où la météo « sondagière » annonce un avis de tempête.