Jacques Hubert-Rodier - éditorialiste aux « Echos ». - 12/02/2009
La Finlande : un cas d'école pour temps de crise
Explosion des crédits bancaires, libéralisation financière débridée, système bancaire hypertrophié, absence de supervision des autorités, bulle de la consommation et du marché immobilier. Cette description nous rappelle quelque chose. Et pourtant il s'agit d'une autre tempête : celle qui a frappé au début des années 1990 les pays nordiques. Pour la Finlande, cette crise s'est accompagnée d'un choc extérieur extrêmement violent : la chute de l'Union soviétique et, avec l'implosion de son voisin, la fin d'un système bilatéral de commerce dont dépendait étroitement ce pays. Penna Urrila, économiste de la Confédération des entreprises finlandaises, estime que ce facteur à lui seul a été responsable d'au moins un tiers de la crise.
Certes, le monde entier après la guerre du Golfe de 1991 est entré en récession. Mais, pour la Finlande, l'effondrement a été accentué par un système de change rigide qui a cherché à maintenir d'une façon artificielle la parité du mark finlandais. Pour achever d'aggraver le tout, une dévaluation a ensuite ruiné nombre d'entreprises finlandaises qui devaient rembourser sur les marchés internationaux des emprunts contractés en devises fortes.
Aujourd'hui, face à une crise financière et économique globale menaçant de se muer en récession dans toute la zone euro, la Finlande se retourne sur ce passé. Jamais alors, un pays de la zone OCDE n'avait connu dans l'après-Seconde Guerre mondiale une telle descente aux enfers. Entre 1991 et 1993, son produit intérieur brut a chuté de près de 14 % et le chômage a explosé de 3 % à près de 20 %. Des chiffres voisins de ceux de la Grande Dépression des années 1930 et que certains pays, pris dans la tourmente, redoutent aujourd'hui. Sa crise bancaire, comme le souligne Vesa Vihriälä, aujourd'hui directeur des affaires économiques au cabinet du Premier ministre finlandais, était, peut-être, l'une des plus sévères jamais connues. Elle fut marquée par plusieurs faillites comme celle de la SKOP et d'une quarantaine de caisses d'épargne, raconte l'économiste. Un véritable choc.
Face à cette crise, le gouvernement finlandais s'est appuyé à l'époque sur trois grands piliers.
Le premier, c'est une profonde réforme du secteur bancaire avec une suppression d'environ la moitié des effectifs. Outre la prise de contrôle par la Banque de Finlande des institutions financières les plus faibles, Helsinki a choisi une double approche : l'injection « par précaution » de capital dans les banques pour éviter la prolongation du « credit crunch » et pour rétablir la confiance, et la création d'un fonds gouvernemental de garantie pour les banques en difficulté. En revanche, la généralisation d'une « bad bank » pour prendre en charge tous les actifs non performants des banques a été rejetée. « Largement parce que cela aurait été un simple transfert de richesses du gouvernement aux banques », selon Vesa Vihriälä. Toutes les banques, après leur consolidation, ont pu rembourser à l'Etat leur dette et ont été remises après trois ou quatre ans dans le secteur privé.
Autre pilier, une intervention massive publique dans la recherche et le développement, et un encouragement pour le secteur privé, Nokia en tête, à suivre cette voie. De 1991 à 1995, le financement de la recherche et du développement a été augmenté de 70 %, ce qui classe la Finlande aujourd'hui au sommet de l'OCDE en pourcentage du PIB consacré à ce type de dépenses (3,4 % environ). Une politique qui s'est accompagnée d'une réduction de la pression fiscale, que la Finlande, contre vents et marées, compte poursuivre cette année.
Et, pour parachever le tout, la Finlande est entrée dans l'Union européenne en 1995 en choisissant l'euro.
Quelles sont les leçons du « cas finlandais » ? Esko Aho, Premier ministre de 1991 à 1995, aujourd'hui vice-président de Nokia, en discerne sept, « plus une ». La première, c'est qu'il faut retenir le scénario du pire. Ensuite, adopter une stratégie pour s'en sortir. La troisième recommandation, c'est de s'efforcer d'améliorer les ressources pour l'éducation et la recherche et développement. La quatrième : il faut comprendre que la crise n'est pas seulement une menace mais aussi une opportunité pour réformer. La cinquième : toute crise encourage une forte mobilité des salariés. La sixième : vous devez être patient car la sortie de crise peut-être longue, en l'occurrence plus de trois ans pour la Finlande. La septième : l'intervention publique dans les banques est nécessaire mais elle doit être brève. Enfin, « si un gouvernement veut réformer réellement, il doit faire une croix sur les prochaines élections ».
Certes, toutes les recettes finlandaises n'auraient pas la même efficacité partout face à la crise d'aujourd'hui. Parce qu'il s'agit d'un petit pays, de 5,3 millions d'habitants, relativement consensuel. Mais aussi parce qu'aujourd'hui la crise est globale. La demande mondiale étant en berne, on ne peut pas concevoir une reprise soutenue dans de telles proportions par l'exportation, notamment celles de Nokia. Mais il y a bien là quand même quelques leçons à méditer.