Bouclier fiscal : les riches exempts de solidarité nationale ?
Par Gilles Bridier - Journaliste - 19/03/2009 - 11H32 – Rue89
Les foyers qui profitent du bouclier fiscal sont-ils exonérés de solidarité nationale dans la protection sociale ? Probablement, dans la mesure où les contributions sociales (CSG et CRDS) font partie de ce bouclier, et qu’ils en sont donc peu ou prou dispensés. Toutefois, on ne lit nulle part qu’une telle exonération existe. Y aurait-il déni de justice fiscale ?
Par exemple, quoi de plus officiel qu’un site internet estampillé « République française », comme l’est vie-publique.fr ? On y rappelle pourtant que la Contribution sociale généralisée (CSG) créée par la loi de finance pour 1991, est due par tous les résidents en France et est prélevée à la source de la plupart des revenus à l’exception des prestations sociales et familiales.
On se souvient que, lorsque le socialiste Michel Rocard alors Premier ministre, avait introduit la fameuse contribution qui fut en réalité à l’origine d’une véritable réforme fiscale, la droite avait tiré boulets rouges sur cette mesure… avant de s’en emparer une fois revenue aux affaires.
Protection sociale et solidarité nationale
Aujourd’hui, taxant notamment à 7,5% les revenus d’activité et à 8,2% les revenus du patrimoine et de placements, elle rapporte plus de 75 milliards d’euros et représente près des deux tiers des impôts et taxes affectés à la protection sociale, précise-t-on sur vie-publique.fr.
Ainsi, cette taxe alimente la branche famille et la branche maladie de la Sécu, le fonds de solidarité vieillesse et la caisse nationale dite de solidarité pour l’autonomie destinée à la prise en charge des personnes en situation de dépendance. Mais retenons surtout que, dans une démarche de solidarité nationale pour la sauvegarde de la protection sociale, tous les résidents en France sont soumis à la CSG, voulue telle par son créateur (de gauche) et maintenue telle par ses successeurs (de droite comme de gauche).
Cette contribution, en apportant un ballon d’oxygène au système de sécurité sociale sans alourdir les charges sur les salaires, a vite donné des idées.
En 1996, c’est au tour d’Alain Juppé de créer la contribution pour le remboursement de la dette sociale (CRDS), pour éponger le déficit de la Sécu. Touchant tous les types de revenus et donc –là encore– tous les Français, cette CRDS se déverse dans une caisse d’amortissement de la dette sociale (la Cades) destinée à combler le trou de la Sécu.
Initialement, CRDS et Cades avaient une durée de vie limitée à treize années, jusqu’en 2008 ; le temps nécessaire, croyait-on benoîtement à l’époque, pour boucher le fameux trou.
Mais pour les gouvernants, la Cades était un outil trop tentant pour qu’on n’y transférât pas de nouvelles dettes… ce qui fut fait, tant par la gauche que par la droite.
Finalement, à force de creuser le trou, il fut décidé qu’on ne pouvait plus prévoir quand il serait comblé, et Jean-Pierre Raffarin décida que l’existence de la CRDS et de la Cades n’était plus limitée dans le temps. Un véritable pousse-au-crime et au laxisme… si bien que Dominique Villepin remit un peu d’ordre en instaurant de nouvelles règles qui devraient aboutir à l’extinction de cette contribution en 2021… sauf nouveaux rebondissements. Retenons là encore que personne en principe ne doit passer au travers du filet de cette contribution destinée à rembourser une dette contractée par la Sécurité sociale pour la collectivité nationale.
Les personnes les plus aisées dispensées de CSG et de CRDS
Mais que constate-t-on pour le bouclier fiscal ? La CSG et la CRDS sont prises en compte, au même titre que l’ISF, l’impôt sur le revenu, la taxe foncière et la taxe d’habitation.
C’est-à-dire que les personnes les plus aisées qui profitent de ce bouclier, ne participent pas au financement de la protection sociale, ou seulement partiellement et pas à la hauteur des personnes moins aisées. C’est-à-dire aussi que les foyers fiscaux les plus riches ne contribuent pas au remboursement d’une dette que toute la collectivité nationale rembourse, ou y contribuent moins que les foyers moins riches.
S’il devait y avoir une logique à tout cela, on en déduirait que les foyers qui profitent du bouclier fiscal et ne participent pas à l’effort de solidarité, ne touchent donc pas de prestations sociales, et qu’ils n’ont pas creusé le trou de la Sécu parce qu’ils n’ont jamais été pris en charge pour accident ou maladie.
On devrait aussi en déduire que ces personnes ne touchent donc pas d’allocations familiales parce qu’elle n’ont pas d’enfants et qu’elles ne souffriront jamais de maladies de la dégénérescence –comme la maladie d’Alzheimzer– qui créent la dépendance.
C’est absurde bien sûr. Mais cette logique n’est pas, de toute façon, à retenir. La protection sociale en France est fondée sur la solidarité et la mutualisation. Et à la différence de l’impôt sur le revenu qui n’est payé que par la moitié des foyers fiscaux, tous les Français sont assujettis à ces deux contributions. Celles-ci soutiennent un modèle de protection sociale qui fonde la société française.
Bien sûr, l’idée même de justice fiscale fait rire tout le monde –les fiscalistes, ceux qui paient, ceux qui fraudent et ceux qui ne paient pas. Et parler de déni de justice fiscale a de quoi faire s’esclaffer les mêmes, c’est-à-dire tout le monde ou presque. Sauf que lorsqu’on tord le cou à des principes qui fondent une société, il ne faut pas s’étonner que les valeurs qui portent cette société soient de moins en moins fondatrices et de plus en plus bafouées.
Respecter des principes
Bien des débats légitimes sont aujourd’hui ouverts sur le bouclier fiscal. « Je n’ai pas été élu pour augmenter les impôts », rétorque Nicolas Sarkozy à tous ceux qui voudraient le faire revenir en arrière sur cette disposition. Or, il n’est pas question d’augmentation, mais de respect des principes.
Si le législateur a jugé bon que CSG et CRDS ne souffrent aucune exonération ou presque –à tel point que ces contributions font le plus souvent l’objet d’un prélèvement à la source– pourquoi les avoir intégrées dans le périmètre du bouclier ? Certains doivent-ils être moins solidaires que d’autres ?
C’est une vraie question à poser. Sauf à considérer que le concept de solidarité nationale ne s’applique pas aux foyers les plus riches.
Une position assez dure à tenir pour un élu issu du suffrage universel, un élu du peuple, surtout en période de crise.